Rencontres

Mine Burckin : une artiste nomade

Peinture de Mine Burckin

Si vous cherchez Mine Burckin, elle est peut-être déjà ailleurs. Car l’artiste turque, aujourd’hui installée à Copenhague, aime passer de pays en pays, à la frontière entre nomadisme et déracinement. Des thèmes qu’on retrouve dans ses créations, où la légèreté tutoie le besoin de rester connectée au quotidien du foyer. Les supports-mêmes de ses oeuvres (broderies, tissus peints) prennent autant de sens que ses dessins. À moins qu’elle ne soit déjà en train d’expérimenter de nouvelles techniques.

Interview et traduction : Asli Emek
Crédit photos : Mine Burckin

  • Salut Mine, bienvenue sur étolie ! Peux-tu nous raconter ton histoire ?

Salut, bien sûr ! Je m’appelle Mine Burckin. Je suis née et j’ai grandi à Istanbul et j’ai étudié l’histoire de l’art à l’Université des Beaux-Arts Mimar Sinan. Pendant mes études, j’ai vécu à Lisbonne pendant 6 mois et pendant la rédaction de ma thèse, j’ai vécu à Vilnius pendant un an. Pour l’instant, je vis à Copenhague depuis 2018.

J’aime expérimenter la vie dans différentes cultures et repousser mes limites, même si je me sens déracinée de temps en temps. Peut-être pour cette raison, je cherche à créer un dialogue et une intimité dans mon travail. Je me réfère à des événements de la vie, des mythes, des scènes méditerranéennes pour créer des sentiments chaleureux et une sincérité entre moi, les autres et l’art.

  • Comment as-tu commencé à faire des broderies ? Comment as-tu choisi ce support ?

J’ai commencé à faire des broderies en 2015. Je cherchais un moyen d’exprimer mes pensées le plus efficacement possible. J’ai essayé différentes techniques et j’ai fini par choisir la broderie. Comme je me déplace souvent, la broderie me donne la liberté de continuer à travailler quel que soit le lieu, car les matériaux sont très adaptés au transport. Mais surtout, j’ai réalisé que les supports eux-mêmes sont un concept de mes œuvres. Il s’agit d’une méthode traditionnelle et domestique appliquée par les femmes pendant des années et, avec mon approche contemporaine, elle est sortie de la maison et amenée dans l’espace public. Ainsi, elle devient une résistance critique face aux contraintes de la féminité. 

  • Tu dessines et peins aussi sur du textile à côté de tes broderies. Quelle est la raison pour laquelle tu utilises des textiles pour ton travail plutôt que des toiles tendues ?

J’aime la liberté plus que la perfection, et je crois qu’il n’y a pas de contrainte dans l’art mais du concept. Je ne me préoccupe pas beaucoup des règles et de la façon dont les choses auraient dû être faites. Je travaille soit sur du tissu, soit sur de la toile tendue, soit sur une combinaison de carton et de tissu. Cette pratique ne concerne pas seulement l’utilisation des matériaux mais aussi mon style de dessin. Je détruis les règles de perspective et de proportion sur mes dessins et recrée un espace pour penser et ressentir en dehors de nos habitudes et routines.

  • Comment choisis-tu les matériaux avec lesquels tu travailles ?

Le fil, le tissu et la peinture acrylique sont mes principaux matériaux. Je cherche également autour de moi. Par exemple, pendant le confinement, j’ai peint beaucoup de cartons parce que je me faisais livrer mes achats, ou après mon accouchement, j’ai pris des photos de traces mon lait maternel sur les objets autour de moi. 

Le côté pratique est très important pour moi lorsque je choisis les matériaux, je veux pouvoir les transporter facilement et travailler lorsque j’en ai la possibilité. L’utilisation d’objets personnels comme matériaux supplémentaires rend mon œuvre semi-autobiographique et constitue un documentaire sur l’époque actuelle.

  • Tu utilises beaucoup de figures féminines et de scènes de la mythologie grecque dans tes œuvres. Qu’est-ce que cela signifie pour toi ? Quel est le message que tu veux faire passer avec ces thèmes ?

Ces figures féminines incomplètes ou déconstruites étaient mes dessins après mes déménagements dans deux pays différents. Je n’étais pas consciente de mes dessins (parce que j’étais totalement perdue), mais j’ai ensuite réalisé qu’ils représentaient profondément le sentiment d’être déracinée et déchirée non seulement de sa patrie mais aussi de soi-même. À ce moment-là, je creusais inconsciemment dans l’art et la mythologie grecs, je lisais des philosophes comme Edward Said, Benjamin Walter et je réfléchissais à la perception du foyer. À cette période de ma vie, j’ai construit une relation saine avec le fait d’être l’autre dans le groupe et ces figures dans des scènes mythologiques sont le résultat de ces sentiments.

  • Comment le fait de vivre à l’étranger a-t-il influencé ton processus créatif et tes inspirations ?

Même si je me sens parfois coincée, j’apprécie de vivre à l’étranger. Lorsque vous vivez dans une autre culture, vous devez toujours réfléchir. Même en faisant de petites courses ou en discutant simplement avec votre voisin, cela devient une analyse sociologique dans votre esprit.

  • Vivant à l’étranger depuis un certain temps, qu’est-ce qui te manque le plus en Turquie ?

Le chaos, la nourriture, les rues, la vivacité, les couleurs et bien d’autres choses encore. 

Le chaos était une grande partie de ma vie lorsque je vivais à Istanbul. Quand tu es extrêmement pressée, mais que tu dois quand-même attendre quelque chose, peut-être une autorisation ou un bus, qui n’est pas sous ton contrôle, et que tu finis par lire un livre. Je pense que ce genre de situation a le pouvoir de te faire mûrir spirituellement.

De plus, la cuisine turque, que je n’arrive pas à me sortir de la tête, est vaste et variée, et aussi délicieuse, d’ouest en est et du sud au nord. À ce stade, ma solution est d’apprendre à cuisiner.

  • Comment se déroule une journée lorsque tu crées ?

J’ai deux types de journées de travail. L’une basée sur l’inspiration, l’autre sur la création de l’œuvre.

Pour la première, j’essaie de trouver ce qui peut représenter efficacement les pensées qui sont significatives. Je lis, j’écoute, je cherche, je me promène dans la nature. Parfois, je rencontre des personnes spécifiques pour faire la part des choses. Ensuite, je commence à écrire et à dessiner, et je trouve les matériaux qui conviennent au travail. Je pense que ce type de journée est plus sérieux et plus difficile que le deuxième.

Mon deuxième type de journée commence par un bon petit-déjeuner, et je travaille jusqu’à ce que mon dos me fasse mal. Ici, l’effort physique se mêle à la production intellectuelle. Je pose mon tissu, je peins, je brode d’un côté à l’autre. Il y a quantité de mouvement dans ce processus. 

  • Quelle est la prochaine étape pour toi (as-tu des projets sur lesquels tu veux travailler ou des projets de déménagement dans un autre pays, etc.) ?

Je suis fascinée par le travail dans des domaines que je n’ai jamais expérimentés auparavant. Récemment, je me suis intéressée à la création de bijoux, et pour l’instant, je joue avec des pierres précieuses, des perles et de l’argent. J’aimerais créer un bijou combinant mes dessins et des perles naturelles.

Je travaille également sur une nouvelle collection qui comprendra une nappe, un chemin de table et une serviette de table. Elles seront peintes et brodées à la main en nombre limité. Si nous avons un aperçu du concept, l’histoire de la collection cherche la sérénité dans l’équilibre.

J’aime bouger sans cesse dans des endroits différents 🙂 Nous n’avons pas de plan (actuel) pour déménager dans un autre pays à court-terme, mais je cherche un endroit où je peux être proche de la nature.

  • Merci pour tes réponses, Mine !

Merci, c’était un plaisir de m’ouvrir ici. J’espère te voir à Paris bientôt.

Retrouvez Mine sur Instagram : @mineburckin